Tuesday, February 26, 2008

INLAND EMPIRE


Ecrit en majuscule comme sur un dossier confidentiel que l’on rechignerait à ouvrir, le titre pourrait bien être une des nombreuses clés qui permettront au spectateur de pénétrer cet univers vertigineux.

Si on connaissait chez Lynch cette passion du spectacle, souvent mise en images dans ses précédents métrages, personne n’aurait imaginé qu’il puisse à ce point nous y faire prendre part. En effet, la sensation de vertige auquel donne lieu cette ½uvre est due à un procédé sur lequel les trois heures de film reposent, une mise en abîme. En tant que grand manipulateur, ce montreur de rêves nous immerge complètement dans la structure chaotique de l’INLAND EMPIRE pour nous confronter à l’idée que la distinction entre les différentes couches qui le constituent n’est pas claire, bien au contraire. Si le film entier n’est qu’un spectacle dans le spectacle dans le spectacle, Lynch rompt avec les principes de la mise en abîme en faisant les mondes inter communiquer.

Comme on a pu se le demander en visionnant ses deux précédents films (Lost highway et Mullholland Drive) la question de savoir si la réalité à sa place ici trouve sa réponse dans le visuel choisi. Non le format DV n’est pas la preuve d’un manque de moyens mais bien l’illustration d’une volonté de donner un aspect documentaire, vécu, à l’ensemble, aussi incohérent soit-il à première vue. Une question nous est directement adressée: Sommes-nous les spectateurs ou le spectacle ? Les visages angoissants en gros plan nous scrutent alors qu’en contrepartie les visages angoissés, toujours en gros plan, nous renvoient à notre statut de voyeurs. Toute une symbolique est encore déployée pour parsemer le parcours d’indices qui nous sont adressés, que ce soient les portes innombrables, le thème de la pièce fermée, certains objets récurrents, le rôle de la lumière et du contraste qu’elle créée,… Rien n’est dû au hasard et tout est libre d’interprétation.

Tout est fait pour que nous perdions toute forme de repère temporel ou spatial, même les relations interpersonnelles ne sont soumises à aucune logique. L’opposition entre intérieur et extérieur, monde sensible et monde imaginé, se marque à tous moments dans les dialogues absurdes entre les acteurs ou encore dans le fait qu’INLAND EMPIRE ne soit qu’un film de Lynch qui aurait à son tour été filmé, le réalisateur se permettant même des allusions à ses propres films. Si la réalité est bien quelque part, la distinguer du reste relève de la torture mentale tant elle vient se mélanger avec les différents niveaux de conscience de l’actrice principale. Laura Dern se perd entre ce qu’elle pense être, ce qu’elle est, ce qu’elle voudrait être ou encore l’image qu’elle renvoie d’elle-même.

Le titre nous parle d’intérieur, et c’est là que beaucoup de questions posées dans le film vont trouver leur réponse. On peut dire que si certains utilisent leurs rêves, leurs pensées à défaut de pouvoir réaliser des films, David Lynch réalise des rêves. Et là vient se greffer une notion indispensable pour apprécier cette réelle ½uvre d’art : il n’est pas utile de tout comprendre puisque l’univers du réalisateur est l’apologie de la contradiction. Kubrick avait son Odyssée de l’espace, Lynch a son Odyssée des rêves, et la mise en parallèle des deux monuments n’a rien d’innocent… Ils dérangent car ils font appel à une acceptation de l’incohérence et inversent la hiérarchie entre le réel et l'imaginaire.

On a souvent dit de David Lynch qu’on ne pouvait qu’adorer ou détester, mais si la fascination exercée par INLAND EMPIRE est grande et qu’elle peut facilement se transformer en épouvantail, la profondeur d’un tel film pourra en déboussoler certains. Une chose est sûre, on est là face à un sommet de la carrière du réalisateur et personne ne pourra ressortir indifférent de la salle après avoir vu un cinéma aussi unique.

Le Prestige


Le trio gagnant de Batman Begins est de retour: Christopher Nolan, Christian Bale et Bob Kane nous subjuguent par une magie savamment dosée, la recette prend une fois de plus mais dans un univers totalement différent. Comme à son habitude, le réalisateur nous propose un monde mélange de réalité et de surréalité avec une rare pertinence.

Si Le Prestige parle de magiciens, il n’est pas pour autant l’apologie de la magie. Sans pour autant s’atteler à déconstruire le mythe de l’illusion parfaite, Nolan nous confronte au doute qu’elle nous suggère, tout en amenant de nouvelles réflexions. La construction sous forme de questions / réponses donne au récit un aspect décousu auquel il faudra s’accrocher, sous peine de voir les indices semés ci et là nous échapper. Se plaçant dans un monde de secret et d’ambiguïtés, l’histoire peut en effet parfois mener le spectateur en bourrique, mais le dénouement n’en est que plus extraordinaire et poignant.

Plus qu’une querelle entre la magie et la réalité, c’est ici la surenchère entre deux hommes prêts à tout pour s’illustrer qui va parcourir une histoire décidément savoureuse, car empreinte de morale. Du point de vue des acteurs, Christian Bale montre son incroyable capacité d’adaptation et son aptitude à jouer des rôles obscurs. Hugh Jackman, quant à lui, se fait plus discret mais n’en reste pas moins un acteur impressionnant. Petit plus avec le rôle discret d’un David Bowie méconnaissable dans le rôle d’un scientifique extravagant.

Au final c’est un film qui ne plaira certainement pas à tout le monde, mais qui aura le mérite de présenter une histoire originale et très bien interprétée. Seule la construction du récit pourrait déplaire, mais la magie que dégage l’ensemble du film ne peut laisser personne indifférent.